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SEP
Avoir l’impression d’être une imposture. Parfois. Je suis malade, j’ai plusieurs handicaps invisibles, qui ne se voient donc pas. Je suis chanceuse. Mes douleurs se cachent. Mes symptômes se glissent à l’intérieur et sont imperceptibles aux yeux de tous. Pas pour moi. Ils me dissuadent de sortir, de croire en tel ou tel projet. La peur me terrasse. Parfois. Des alarmes se mettent en place, mon corps sonne. Des décharges électriques en pleine rue. Puis plus rien. Mes pas sont peut-être comptés. Ma vue aussi. Et mon cerveau, jusqu’où peut-il aller? Je rumine, je gamberge, je m’inquiète, j’extrapole et je vois la maladie avancer à petits pas, murmurant dans mon corps. Je me vois comme une imposture. Parfois.
Je parle peu de tout ça. Je me sens un peu gênée. Peur d’en dire trop sur moi. Peur de me confier aux personnes que je connais depuis peu, à celles que je ne vois pas souvent, et à mes proches aussi. Parfois.
Je peux paraître démotivée, lassée ou peu enthousiaste. Mais je suis réellement épuisée, parfois. La fatigue est invisible. Subjective et propre à chacun aussi. Les symptômes de la sep sont immondes, insidieux, sourds, humiliants, sournois. Parfois. Inavouables. Parfois. J’ai toujours eu peur que cette enveloppe invisible qui garde mes symptômes au chaud et me protège des regards extérieurs, se perce et me file entre les doigts, que l’obscurité de l’intérieur de mon corps apparaisse aux yeux de tous, que cette noirceur en sorte. Si elle me cisaille le corps, toute cette altération s’en échappera, surgira, s’embrasera.
Avant, cela aurait été l’un de mes pires cauchemars. Ne surtout pas être réduite à un être malade. Personne ne désirerait cela. Aujourd’hui cette crainte est moins forte. J’essaie de moins m’attacher aux regards des autres, d’être moi, d’être vraie, de placer mon combat ailleurs. Mais la peur reste présente, inévitablement. Il faut parvenir à ne pas se laisser envahir par cette peur et ne pas laisser place à la panique qui me cristallise. C’est dur. Parfois.
Mais je ne suis pas encore transparente et je ne me sens pas la légitimité de me plaindre quand je vois la souffrance d’autres patients chez qui le handicap se perçoit au premier regard.
Il y a 20 ans, tu es entrée dans ma vie. Il y a 20 ans, j’allais avoir 17 ans et je ne t’ai pas vue venir. Tu t’es enlacée à moi et tu m’as sauvagement poignardée dans le dos. Tu as pénétré en moi, tu m’as injecté ton venin, tu as colonisé mon cerveau et tu l’as bousillé. Tu as envahi mon corps, tu m’as arraché les yeux, tu as altéré ma vue et pas que. Il y a 20 ans, tu m’as piétinée, tu m’as essorée puis scié les jambes. J’ai perdu tous mes repères. Tu m’as brutalisée. Tu as frappé si fort que tu m’as mise par terre. Tu m’as électrocutée. Je me suis effondrée, évanouie. J’ai sangloté. Tu m’as insufflé la douleur. Il y a 20 ans, tu m’as prise au piège. Tu m’as plongée dans le noir. J’ai imaginé mon avenir et ma liberté s’envoler et se réduire au néant. J’ai eu si peur. Tu m’as totalement déroutée. Il y a 20 ans, tu as effacé toute certitude. J’ai tant désiré que tu me fiches la paix.
Cela fait 20 ans que tu es infâme. Tu fourmilles en moi, tu squattes, tu me bouscules, tu m’étouffes, me culpabilises. Cela fait 20 ans que je suis sur le qui-vive. Tu me troubles, tu m’inquiètes, me harcèles et m’angoisses. Cela fait 20 ans que je doute. 20 ans que tu me donnes des vertiges, évolues en moi, me grignotes et me ronges. Je lutte contre toi, et contre moi à mon insu. Je me consume. Tu m’épuises. Je t’humanise. 20 ans que je suis différente. 20 ans que tu voiles mon identité. Mon corps m’échappe, je ne suis plus aux commandes. Cela fait 20ans que je me soigne. Mais 20 ans que tu me prends un peu de mes yeux, de mon équilibre, de mes sens, de mes jambes, de ma vessie, de mes défenses, de ma mémoire, de mon énergie et de mes forces. Cela fait 20 ans que je ne sais pas où tu m’emmènes. 20 ans que tu es plus importante qu’il n’y paraît.
Aujourd’hui, je suis toujours un peu hésitante, flottante, ou craintive. Je suis un peu moins spontanée, un peu plus sensible, plus fragile mais encore debout. Un peu bancale parfois mais tout va bien, je veux garder le sourire et je relativise. Aujourd’hui, je me suis réveillée et je t’ai digérée. Tu vas, tu viens. Malgré ta férocité, tu m’as beaucoup appris. J’ai même un peu grandi. Tu m’impressionnes moins. Je vis au jour le jour pour avoir moins peur. Je réapprends à avoir confiance. Et je ne veux plus que tu sois le centre de mon monde.
Un jour, j’y arriverai
Je lui dirai tout ce que j’ai sur le coeur, je lui rentrerai dedans, j’irai voir de plus près, je lui déballerai tout!
Mais je n’y parviens pas encore. Jusque maintenant, elle m’impressionne trop. Elle me cristallise, me gélifie, m’arrête net. Si je l’entends approcher, murmurer, je m’éloigne, m’isole, me cloître dans un coin. Je ne peux rien entreprendre, je panique, je me bouche les oreilles et je ferme les yeux. Je l’ai toujours regardé de travers, un peu en biais, en me cachant.
J’aimerais réussir à lui parler franchement, la regarder droit dans les yeux. Ne pas faire comme elle et arriver sans prévenir, brutalement. Je ne veux pas la bousculer. Je veux juste lui dire que l’on ne peut plus continuer comme cela, que je n’ai plus envie de la laisser me guider et dicter ma vie. Je ne veux plus faire attention à tout, tout le temps. Elle est là, je le sais, elle m’accompagne. Je ne veux plus non plus me rappeler ce qu’elle m’a empêché et ce qu’elle continue à m’empêcher de faire. Mais plutôt voir ce qu’elle me permet de réaliser. Je veux réussir à lâcher prise, à être détendue. Je ne veux plus voir le nuage noir qui rôde au-dessus, quelque part par là. Je ne veux plus anticiper, calculer, scruter ses moindres faits et gestes. Je ne veux plus qu’elle me stresse autant, qu’elle m’empêche de dormir. Je ne veux plus être sa marionnette. Je ne veux plus qu’elle me hante du matin au soir et du soir au matin. Je veux laisser aller, laisser passer le nuage. Je veux voir la force intérieure qui a grandi en moi grâce à elle. Je veux vivre pour moi, relâcher la pression et les mauvaises ondes. Je veux voir la couleur. Je veux rester libre, me laisser porter par le hasard, ne pas me définir comme malade. Elle n’est pas moi, je ne suis pas elle. Je veux m’assumer et ne plus me cacher. Lâcher prise. Je veux continuer à danser quand ça me chante.
Elle arrive sur la pointe des pieds, au détour d’une conversation, à la sortie de la douche ou lors d’une ballade, peu importe. Je sens une légère différence, une étrange sensation. Elle attire mon attention mais j’y prête peu d’importance au début tellement elle avance lentement. Puis ça persiste, c’est de plus en plus fort. Je la ressens parfois dans la main ou dans la jambe ou dans le pied. Parfois elle traverse mon corps de sous la poitrine jusqu’au pied. Parfois à gauche, parfois à droite. Parfois, c’est juste désagréable, parfois c’est douloureux, parfois c’est horrible. Elle me brûle ou me râpe tout un côté du corps.
En novembre 2003, je ne sens plus ma main gauche. Attraper mon ticket de métro, tourner un robinet ou m’habiller peut être compliqué. Des gestes simples que l’on fait quotidiennement sans y prêter la moindre importance deviennent difficiles ou impossibles. Perdre un objet que l’on a dans la main sans s’en rendre compte, ne plus sentir les choses. Avoir une enveloppe capitonnée autour de soi, comme une moufle. Avoir l’impression qu’une partie de son corps s’est endormie mais qu’elle est devenue irritable et très sensible.
En mai 2004, tout mon côté droit est chaud (de mon pied à la hanche). Une enveloppe s’est ajoutée à ma peau, une épaisseur fine et vaporeuse s’est développée autour d’elle. Comme une brume qui passe et s’épaissit sur ma peau. Je la sens toujours présente. Elle modifie mes repères, mon rapport sensitif aux éléments que je touche, elle fausse ma perception du toucher. Je ressens une sensation désagréable et insupportable quand cette partie de mon corps est en contact. Ça me gêne quand on me touche, même une simple caresse, un effleurement.
En janvier 2007, je ne sens plus mon côté droit. Ma jambe est chaude et une enveloppe l’entoure. Cette sensation se propage et s’intensifie jusqu’au ventre. Ça me brûle quand je me douche. C’est très désagréable tout le temps. Je ne peux plus croiser les jambes et je dors sur mon côté gauche.
En juin 2007, je ne sens plus mon côté gauche, d’abord la jambe puis la main. Ca me brûle fort sur le dessus des cuisses. Un mois plus tard, c’est le côté droit. En quelques jours, l’évolution est terrifiante. Je ne peux plus écrire ni manger seule. C’est pesant.
Puis il y a encore des épisodes comme ceux-là où je ne sens plus une partie de mon corps. Et en juillet 2013, mon côté gauche me brûle de plus en plus fort. Je ressens des troubles sensitifs sur tout ce côté. Ça me brûle. J’ai des décharges électriques dans le pied droit. Les mouches me piétinent la jambe, je sens leurs petites pattes sur mon corps endormi, comme si elles étaient lointaines. Heureusement, je peux encore les chasser avec la main. J’ai marché à pieds nus dans l’herbe. Le contact de mon pied sur l’herbe m’est très désagréable, presque insoutenable. Ces impressions de décharges électriques me tétanisent. Je suis parfois paniquée et déconcertée par ces symptômes qui surviennent sans prévenir et qui s’installent paisiblement. Je ne peux que sentir ses effets sur mon corps sans ne pouvoir rien faire quand elle arpente chaque jour un peu plus le terrain, stagne en milieu ombrageux puis s’estompe après quelques semaines voir quelques mois. Je me sens encombrée par mon corps auquel il manque parfois certaines libertés. Cette perte de sensibilité à droite m’affaiblit encore a peu près une fois par an, mais ce n’est pas une poussée, “juste” une séquelle, une lacune, une faiblesse qui me surprend quand je suis plus fatiguée… Je suis passée à 3 sur l’échelle EDSS
J’ai senti sa main sur mon genou, sa chaleur quand elle m’a prise dans ses bras dans la rue après ce rendez-vous difficile. Heureusement, je n’étais pas seule pour endurer et supporter le poids de cette douloureuse épreuve. Il y a eu ma mère d’abord, mes sœurs, mes amies, mon chéri toujours. Il y a eu des petits mots, des petits gestes, des encouragements, des rires qui ont été un grand soutien. Il y a eu tous ces moments pendant lesquels je suis parvenue à oublier le reflet immonde que la SEP déversait sur moi. Ce goût amer et infect a mis du temps mais s’est évaporé doucement. J’ai souvent tenté de le diluer, de m’en détacher. Mais cela a été très long. Au début l’envie de pleurer était plus forte que tout. Je pouvais exploser en sanglots à chaque instant. J’avais tellement besoin que l’on vienne me réconforter. Mais je me suis enfermée, je me suis construit une carapace. Je ne voulais pas en parler ni affronter la réalité. Je disais “oui ça va”.
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27 janvier 1999 : j’ai des vertiges après les repas. Le lendemain matin, j’ai l’impression d’être saoule, j’ai la tête qui tourne. Le 5 février, je ressens de forts maux de tête et je vois trouble de l’œil gauche; j’ai comme une tâche devant. Ma vision est brouillée. Mes repères sont altérés, je dois faire attention quand je me déplace. Le 11 février, j’ai rendez-vous chez l’ophtalmologue. Je ne vois presque plus de mon œil gauche. Le 12 février, je vois mon neurologue. Il me fait hospitaliser.
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il y a des jours où elle aspire toute mon énergie tout doucement ou brutalement. Quelques fois le matin, souvent le soir.
Elle m’aveugle, se nourrit de moi pour avancer plus vite. Elle me ralentit. Elle me scie les jambes, elle s’agrippe à moi.
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Cette envie est venue très tôt chez moi. Quand l’annonce du diagnostic m’est tombé dessus, une question m’est venue rapidement “vais-je pouvoir avoir un enfant un jour?”. Le 16 mars 1999, j’écrivais déjà (après une consultation chez le neurologue et après l’horreur du semblant de diagnostic) “je rêve d’une vie simple, parsemée de petits plaisirs, de bonheur, d’enfants qui courent avec moi, d’éclats de rire etc.” Mais j’étais jeune à l’époque, mon neurologue me l’a assez répété “tu es jeune, tu as le temps!”.
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février 2001 : je ressens ce symptôme pour la première fois. Comme un nuage noir s’installe sur la partie gauche de mon visage et plus encore autour de ma bouche. La moitié de mon visage est paralysée. Mon œil est comme étouffé. Je sens mon visage s’endormir et se déformer légèrement. Ca me gêne pour manger, pour parler. C’est très désagréable et déroutant. J’ai l’impression de ne pas parvenir à manger proprement.
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Les souffrances et symptômes que je ressens sont invisibles et difficiles à percevoir pour la personne qui ne les vit pas. Cette maladie est troublante. Tout se passe à l’intérieur de mon corps (pour mon cas et pour l’instant). En surface, on ne voit rien, on ne sait rien, on ne se doute de rien.
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